Festival Art Souterrain 2021
FESTIVAL ART SOUTERRAIN 2021 : CHRONOMÉTRIE
sam 20 fév 2021_00:00
dim 14 mar 2021_00:00
Centre de Commerce Mondial de Montréal
747 Rue du Square-Victoria, Montréal, QC H2Y 3Y9 METRO SQUARE VICTORIA - OACI
Chronométrie
Produire, réinventer, communiquer, rire et aimer dans un balancement de plus en plus rapide, tel est le mantra d’une modernité qui n’a de cesse de rétrécir le temps, notre temps. Aussi, tout va de plus en plus vite et chaque unité de temps concentre toujours plus d’actions, de sensations et d’événements. Il nous est né de cette fuite en avant de nouveaux réflexes comportementaux ayant pour conséquence des relations éphémères et des habitudes d’immédiateté.
La beauté du monde, c’est “la beauté de la vitesse” et “à quoi bon regarder derrière nous” déclarait Tommaso Marinetti dans son Manifeste du futurisme. Un siècle plus tard, cette “beauté” qui perlait des mots du chantre de la vitesse a pris les atours d’une bête muette quantifiant, mesurant et ordonnant chaque instant de nos vies. Cette mesure normative d’un temps calculé et mécanique n’altère-t-elle pas nos approches usuelles du temps ? Notre époque s’est-elle empêtrée dans les fils de sa propre vitesse ? Serait-ce alors la raison de la multiplicité des raccourcis dans notre quotidien ?
En réponse, certains artistes du festival 2021 nous interpellent sur le fait que cette normativité se heurte à celle de leurs temps biographiques propres. En arrachant une à une les pétales d’une montagne de fleurs pendant des heures, le performeur Nic Wilson nous rappelle ainsi que le temps mécanique n’est pas le temps de l’expérience personnel ni le temps remémoré.
Cette activité introspective, fugace et à jamais inachevée nous invite à réfléchir à des alternatives temporelles. Elle dégage d’un sentiment commun comme celui “de manquer de temps”, une conscience de nos limites face à l’accélération du monde. La puissante chronométrie qui articule notre société techno-économique et capitaliste n’est-elle pas aussi une faiblesse, un talon d’Achille qui limite notre regard sur des alternatives contre-culturelles, sociales et économiques ?
De même, en réinterrogeant une proposition artistique d’un avenir afro-futuriste de 1974, Space is the place, l’artiste Diva Muanza, dans son installation vidéo, The Black man and the Cosmos, réactive une contre-culture de la chronométrie. Ce récit des afrodescendants convoque, un imaginaire afro soustrait du continuum capitaliste pour s’inventer une exode qui se mesure sur une échelle spatiale et temporelle proprement infinie. Mais ce temps d’une histoire de l’art afro et ses récits signale qu’ils se fondent sur des connaissances du passé, des périodes et des structures qui ne sont pas celles du modèle dominant et ses héros caucasiens. Autrement dit, les maîtres de la chronométrie sont aussi les maîtres des récits. Cette résurgence afrofuturiste nous invite à ne pas dissocier chronométrie et histoire.
Ces artistes parmi tant d’autres, subliment l’existence d’une réflexion collective sur une valeur socle à nos vies ainsi que le déterminisme technologique qu’il sous-entend, en cela que la science de la mesure du temps nous synchronise les uns aux autres au quotidien (téléphones, ordinateurs, rames de train, avion, etc.). Ils explorent, non sans poésie, d’autres façons de relier passé, présent, avenir ; de mesurer nos distances et nos richesses. En effet, la quantification constante du temps, sa représentation et sa mesurabilité historique, géographique, monétaire et personnelle ne sont-elles pas les matières tangibles que manipule la chronométrie ? Pourquoi ne pas compter nos distances en plaisir parcouru et notre temps de productivité en degré d’épanouissement ?
Si la chronométrie est le fondement de notre modèle productiviste, elle impacte aussi tous les aspects de nos vies y compris des champs d’allure aussi éloignée que ceux du goût et des habitudes culinaires. La moindre cuillère de chocolat dans notre lait, de café au réveil ou de sucre dans nos pâtisseries interrogent des modèles globalisants et “chrono-consuméristes”. Car toutes ses cuillerées “innocentes” sont solidaires de monocultures imposées par une productivité dans une mesure de temps toujours plus rapide. Et comme nous le savons ces “chrono-monocultures” dévastent à leur tour les écosystèmes et arrachent aux plus exposés jusqu’à la dignité humaine[1]. À ce titre, la banane de l’affiche du festival 2021, qui symbolise une mesure du temps rapide par son pourrissement, synthétise parfaitement l’urgence de consommer avant péremption d’un modèle capitaliste basé sur la chronométrie. En s’infiltrant dans des gestes aussi banals que de manger une banane, la chronométrie interroge un faisceau d’interrelations complexe. Après tout le temps n’est-il pas ce qui nous unit de la naissance au trépas ?
Cette question, nous amène à ouvrir un temps de réflexion replié sur lui-même, un “ins-temps” de réajustement ayant pour projet d’articuler un avenir dans lequel l’échéance de l’humanité est annoncée par une communauté scientifique qui n’a de cesse de rappeler que la chronométrie charpente nos besoins de satisfactions immédiates et de récompenses instantanées. Cette injonction met en vis-à-vis une modernité consumériste préjudiciable à l’écosystème et des traditions dites figées et passéistes, mais plus respectueuses de celui-ci.
La chronométrie est-elle une voie sans issue ou constitue-t-elle une reconfiguration des relations humaines qu’il nous faut étreindre ? Dans un cas comme dans l’autre ne serions-nous pas au seuil d’une nouvelle ère ? Cette dualité entre l’équilibre de l’homme dans son écosystème et la pression de notre consommation de temps est un enjeu auquel les artistes de la 13ème édition du festival art souterrain essaient de répondre.
[1] On se rappellera par exemple le scandale de ces dernières années, les enfants esclaves du cacao de la Côte-d’Ivoire ou encore la stérilisation massive des paysannes indiennes pour une plus grande productivité notamment de sucre destiné à l’exportation vers les pays occidentaux
À Propos
Art Souterrain est fier de présenter pour sa 13eme année consécutive, le Festival Art souterrain du 20 février au 14 mars 2021. C’est au cœur de Montréal qu’une trentaine d’artistes et performeur.euse.s présenteront, pendant 24 jours, des œuvres et performances d’art contemporain autour du thème de la Chronométrie. Les œuvres sélectionnées par les 2 commissaires, Nathalie Bachand (Canada) et Dulce Pinzon (Mexique) seront accessibles dans les espaces publics sécuritaires de la ville souterraine de Montréal en tout temps et gratuitement et ce même si la ville venait à être encore en zone rouge!
Article de la Presse. Dix semaines d'Art souterrain cette année!, 27 janvier 2021