Cas d’appropriation et d’exposition illégales d’œuvres originales à Ottawa
L’exposition actuellement en cours ( jusqu'au 16 août 2014 ) à la Galerie SAW, un centre d’artistes d’Ottawa, comporte un certain nombre d’œuvres reproduites sans la permission de l’auteure originale. En effet, l’exposition collective intitulée F is for Fake : L’Art, le cinéma et le faux présente, entre autres, des « œuvres » de l’artiste John Boyle Singfield qui sont en fait de mauvaises reproductions non autorisées d’œuvres photographiques originales de l’artiste Marisa Portolese.
Bien qu’il ait demandé la permission d’utiliser ses œuvres à Mme Portolese et que celle-ci ait refusé, M. Singfield a tout de même produit des reproductions volontairement de mauvaise qualité d’un certain nombre de photos. Son propos était, selon ses propres dires, d’illustrer le phénomène de l’utilisation de faux (popular copies ou bootlegs) dans le marché de l’art et sur l’Internet. Ces mauvaises reproductions ont été ensuite incluses dans l’exposition collective de la Galerie SAW.
Dans ce contexte, il est important de comprendre que le RAAV ne se prononce pas sur la valeur artistique du phénomène de l'appropriation mais bien sur l'absence d'autorisation de la part de l'auteur original. De façon générale, l'artiste appropriationniste doit demander la permission du créateur de l'oeuvre originale avant de l'utiliser sinon il s'expose à des conséquences légales possibles.
La Loi sur le droit d’auteur s’applique partout au Canada
Dans une entrevue télévisuelle donnée en anglais, M. Singfield disait avoir préféré exposer ses « œuvres » en Ontario par crainte d’être poursuivi s’il le faisait au Québec. Précisons tout de suite que la Loi sur le droit d’auteur est une loi fédérale qui s’applique sur l’ensemble du territoire canadien et que toute violation des droits d’auteur survenant où que ce soit sur ce territoire est passible de poursuites devant les tribunaux.
Mme Portolese, à titre d’auteure originale et titulaire des droits sur ses œuvres, est la seule qui puisse autoriser la reproduction de ses œuvres. De plus, au chapitre de ses droits moraux, c’est elle qui peut décider de la bonne qualité des reproductions et autoriser leur diffusion.
En tant qu’association représentative des artistes en arts visuels du Québec, donc des deux artistes en cause, le RAAV a consulté un avocat réputé, spécialiste de la Loi sur le droit d’auteur, afin de déterminer s’il y a eu ou non violation des droits de Mme Portolese par M. Singfield et la Galerie SAW.
La question de l’appropriation en arts visuels
Le travail de M. Singfield participe d’un certain mouvement « appropriationniste », où certains artistes semblent faire fi des droits d’auteur des créateurs originaux. Le RAAV est intervenu à quelques reprises par le passé pour informer les artistes des dangers potentiels liés à des utilisations illicites d’œuvres originales protégées par le droit d’auteur. Un texte rédigé par deux avocats, Me Normand Tamaro et Me Georges Azzaria, avait été publié en octobre 2006 à ce sujet. Il est éclairant de le relire pour bien comprendre toutes les dimensions légales de l’appropriation en arts visuels.
Bien sûr, lorsque les œuvres sont dans le domaine public, c’est-à-dire qu’elles ne sont plus protégées par le droit d’auteur, le problème ne se pose généralement pas. Par contre, lorsque l’artiste est encore vivant, ou que le délai de 50 ans après son décès n’est pas encore écoulé, ses œuvres sont protégées par la loi et seul le titulaire du droit d’auteur, ou ses ayant droits, ont le pouvoir d’autoriser les utilisations qui peuvent en être faites (exposition, reproduction, télécommunications, etc.).
Selon notre avocat spécialiste du droit d'auteur, nous sommes devant un simple cas de reproductions et d’exposition non autorisées des œuvres de Mme Portolese. Le type d’intervention de M. Singfield ne peut bénéficier d’aucune des exceptions prévues dans la loi. En effet, son apport créatif serait difficilement démontrable, quel que soit l’angle pris pour en analyser le résultat. M. Singfield a donc tout simplement reproduit sans permission les œuvres de l’artiste originale, de plus il en a fait des reproductions de mauvaise qualité, donc pouvant nuire à la réputation de Mme Portolese ; quant à la Galerie SAW, elle a décidé d’exposer ces reproductions illégales.
« Dura lex, sed lex » * Peu importe l’intention première de M. Singfield et les motifs ou arguments intellectuels qui l’ont amené à agir ainsi, il s’est placé en situation de violation des droits d’auteur de l’artiste originale. De son côté, la Galerie SAW a pris un risque énorme en n’obtenant pas la garantie de la part de M. Singfield qu’il était autorisé à reproduire les œuvres et à les exposer. Elle est donc probablement coupable d’infraction à la Loi sur le droit d’auteur elle-aussi.
En outre, les modèles ayant servi pour les œuvres originales seraient en droit de réclamer une compensation pour infraction à leur droit à l’image. On ne peut en effet publier des photos de personnes sans leur permission expresse. Or cette permission n’a été donnée qu’à l’auteure originale et pour ses propres fins, pas à M. Singfield ni à la Galerie SAW.
Pour réparer les erreurs commises, ces reproductions devraient être retirées de l’exposition et remises à l’artiste originale, ainsi que les fichiers numériques ou les négatifs, afin qu’ils soient détruits. De plus, une compensation financière pourrait être demandée à M. Singfield et à la Galerie SAW pour les dommages causés.
Pour le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec, dont le mandat est de promouvoir et de défendre les droits des artistes, il est important d’apporter ces précisions afin que ce genre de violation du droit d’auteur ne se reproduise pas. L’appropriation en arts visuels est un phénomène relativement courant mais qui n’est pas nouveau. Dans tous les cas, il est prudent de demander une permission par écrit à l’artiste original.
Christian Bédard, Directeur général
* La loi est sévère mais c’est la loi.