CopyCamp : un anti-colloque où le droit d'auteur a fait parler de lui… en bien et en mal
C’était risqué, mais ras-le-bol les colloques pré-organisés, préformatés qui exigent surtout de leurs participants une écoute polie. Cette fois, la rencontre reposerait sur le dynamisme des gens qui avaient décidé d’y assister. Les ateliers se formeraient spontanément, selon la compétence des uns et les intérêts des autres. Quant aux organisateurs (Creators’ Rights Alliance/Alliance des créateurs), leur responsabilité consisterait à imaginer des rencontres, des façons d’entrer en contact. Et ça a fonctionné : le gâteau a levé. Il a suffi, pour briser la glace, d’un premier exercice où les participants, divisés en groupes de cinq, devaient répondre à trois questions sur l’art et la rémunération, dans un même lapse de temps et, à chacune, en changeant de groupe. Seule règle : ne pas s’asseoir avec quelqu’un qu’on connaissait. En moins d’une heure, chacun avait rencontré douze personnes, et les tenants du droit d’auteur avaient eu à maintes reprises l’occasion de confronter leurs opinions aux défendeurs de la gratuité. Le débat était lancé. Il a duré deux jours. Les discussions avaient lieu dans les ateliers, dans les corridors, au restaurant, le soir.
Parce qu’il y a eu débat, aussi étonnant que cela puisse paraître. Les plus jeunes artistes (en musique et en arts visuels surtout) étaient souvent favorables à la distribution gratuite de leurs œuvres sur Internet, soit par idéalisme : l’artiste est « nourri » par sa société, il doit donc lui rendre sans contrepartie financière ce qu’il reçoit d’elle, soit par souci de publicité : l’Internet est une immense vitrine qui permet de se faire connaître puis de lier des relations commerciales directes avec le consommateur.
Michael Geist, un avocat et journaliste opposé au copyright, a même soutenu que « rémunération n’égalait pas création », croyant sans doute, lui qui n’en est pas un, que les artistes sont des êtres immatériels qui n’ont pas besoin d’argent pour vivre…
Les « appropriationistes », des artistes en arts visuels, souhaitaient, pour leur part, un « assouplissement » de la Loi sur le droit d’auteur qui leur permettrait d’intégrer des parties d’œuvres d’autres artistes dans les leurs sans avoir besoin d’autorisation et sans payer de droits. L’art deviendrait ainsi propriété publique et servirait surtout de commentaire social. Les tenants du droits d’auteur ont réagi assez mal à cette proposition, notant que « s’approprier » signifie aussi « usurper » et qu’il serait paradoxal qu’une loi créée pour protéger les oeuvres permette à quiconque de se les « attribuer ».
D’autres critiques du copyright ont trouvé une oreille plus sympathique : celles de représentants de nations aborigènes (les Maori) qui ont démontré comment une loi imaginée et formulée par les Occidentaux en fonction de leur façon de vivre desservait les communautés autochtones qui voulaient préserver leur savoir traditionnel. En effet, l’œuvre protégée ne peut appartenir qu’à UNE personne, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une personne morale, et non pas à une collectivité. Or, le savoir traditionnel appartient à la nation qui l’a développé et non à quelqu’un en particulier. On ne peut donc le mettre sous copyright. Cela conduit à des situations aussi absurdes que celle où une personne morale (une compagnie) peut, en toute « légitimité », exproprier un savoir collectif (chansons et légendes non protégées) puis l’intégrer dans une œuvre (un film) qui, elle, sera protégée par droit d'auteur, ce qui privera par la suite la nation productrice de ces chansons et légendes du droit de les exploiter commercialement.
Cette démonstration des effets pervers du droit d'auteur confirmait dans leur position ceux qui estiment que la Loi, telle qu’elle est faite actuellement, avantage surtout les diffuseurs/producteurs co-titulaires du droit d’auteur que les artistes leur cèdent pour qu’ils fassent circuler leurs œuvres. Là-dessus tenants et opposants du droit d’auteur sont tombés d’accord : l’artiste est de moins en moins bien protégé par la loi. Mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ou renforcer les droits des créateurs dans leurs rapports avec leurs diffuseurs ? Plusieurs artistes de la relève (en musique notamment et parfois en littérature) choisissent de devenir leur propre producteur/diffuseur pour éviter d’entrer dans la chaîne de production où ils ne reçoivent que des miettes.
Si l’organisation du CopyCamp a failli quelque part, c’est dans la place qui a été faite aux artistes et aux associations d’artistes ou sociétés de gestion des droits de reproduction qui soutiennent le droit d’auteur et veulent que la Loi soit améliorée en fonction des besoins des créateurs pour que ceux-ci puissent vivre de leur art, D’autant que l’abolition ou « l’assouplissement » de la Loi sur le droit d’auteur bénéficiera toujours davantage à ceux qui ont les moyens d’en profiter… et qui ne sont pas les artistes. Cela n’a pas été assez dit et c’est peut-être la faiblesse de cette génération spontanée d’ateliers, qu’elle n’ait pas permis d’établir un équilibre entre les différentes positions, ni de montrer la créativité et l’énergie que déploient les associations artistiques et les sociétés de gestion dans la recherche de solutions.
Danielle Simpson, Écrivaine
Avec la gracieuse permission de l’UNEQ
Source: http://www.uneq.qc.ca/documents/x_publications/uniquedecembre2006.pdf